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SCULPTER LA VIE

Vallée de l’Ubaye
Département des Alpes de Haute Provence (04)

Entre tourisme et activité traditionnelle…

Au nord du département des Alpes de Haute Provence, la vallée de l’Ubaye dessine un long et étroit sillon, s’étendant d’est en ouest sur une soixantaine de kilomètres, depuis le col de Larche à la frontière italienne jusqu’au lac de Serre-Ponçon dans les Hautes Alpes. Son caractère encaissé, son relatif isolement entre les hautes montagnes qui la bordent au sud et au nord en font un ensemble géographique bien circonscrit, marqué par la force et la splendeur du paysage.

Sur le plan humain, la vallée, qui compte quelque 7500 habitants répartis entre seize communes, semble avoir plus de peine aujourd’hui à trouver sa cohérence et son unité.
Il est vrai qu’elle ne possède pas d’assise économique stable. Ses activités traditionnelles, petit artisanat et polyculture de montagne, sont comme ailleurs en crise marquée, même si certains s’y accrochent encore. Et si le tourisme d’hiver et à un degré moindre d’été s’est ici et là fortement développé, c’est au prix de l’endettement de certaines communes et en connaissant des fluctuations importantes, en fonction de la conjoncture climatique et de l’afflux ou non des vacanciers.

Il s’agit là, d’autre part, de deux cultures économiques profondément divergentes et qui induisent des comportements humains et des rapports à l’environnement différents voire difficilement compatibles.

Et cela se traduit inévitablement en incompréhensions et en fractures sur le plan social ou vient les renforcer. On le mesure à certaines à la marginalisation de certaines catégories. On peut le constater entre classes d’âge, les plus jeunes ne trouvant plus nécessairement leur compte désormais dans l’existence menée par les générations précédentes.

On le voit se manifester, au sein d’une population aujourd’hui composite, entre autochtones de la vallée et nouveau-venus, originaires d’un peu tous les horizons et souvent fixés là, justement, par l’attrait des retombées ou consommations touristiques. Et une différenciation grandissante entre les diverses parties de la vallée, selon l’importance qu’y ont acquise le tourisme et les influences extérieures, en est également l’expression.

Basse Ubaye en aval et surtout haute Ubaye en amont subissent ainsi de plus en plus l’ascendant de la partie centrale, le bassin de Barcelonnette, où le tourisme est le plus développé. Et l’agglomération même de Barcelonnette, par ailleurs chef-lieu administratif de la vallée, joue localement, toutes proportions gardées, le rôle d’une métropole, croissant linéairement aux dépens de son environnement rural et en rupture avec lui. Tendant à monopoliser commerces et activités socioculturelles et à les orienter en fonction du marché touristique, elle attire vers les fascinations d’une vie quasi urbaine des migrants du reste de la vallée et environ la moitié de la population totale de l’Ubaye y réside aujourd’hui.

Par contraste, la haute Ubaye, plus retirée et peu touchée par le tourisme, tend à s’enfoncer dans l’isolement et la poursuite de moins en moins satisfaisante de son économie traditionnelle. C’est elle qui se dépeuple plus particulièrement au profit de Barcelonnette. La population se maintient mieux en basse Ubaye, à proximité du lac de Serre-Ponçon, du fait de l’existence d’un tourisme estival et d’une plus grande ouverture sur l’extérieur, notamment Gap et sa région. Mais c’est là surtout une zone de passage, sans grande identité.

Le pays se cherche…

On comprend, dans ces conditions, qu’en dépit de l’unité que lui confère son milieu naturel, le pays puisse donner l’impression de ne pas savoir qui il est et où il va. La montagne, la vallée creusée par l’Ubaye sont là, imposent leur présence à tous, tous y sont attachés. Mais comment traduire collectivement cet attachement ? Comment en faire socialement un ciment et un facteur de dynamisme ?

Au cours des rencontres avec les habitants organisées par les intervenants de l’ACEPP, il est apparu qu’avaient existé, dans plusieurs écoles de la vallée, des projets de réalisation d’aires de jeux pour les enfants. Faute de moyens et de temps, il n’y avait pas été donné suite.
Point n’est besoin pourtant de souligner l’importance de l’école comme lieu de vie et de rencontre, et comme élément structurant de la vie communale. Les intervenants ont donc fait en sorte de relancer la plupart de ces projets, en en repensant le sens de manière à associer enfants et parents à leur conception et à leur réalisation.
Et pour animer les différents chantiers, il a été fait appel à un sculpteur, Michel Anasse, établi depuis 25 ans dans la vallée et rompu au travail de toutes sortes de matériaux.
Il s’est bientôt avéré que le concours des parents restait limité en savoir-faire et disponibilité, et qu’il était nécessaire de s’adjoindre une force de travail plus compétente et plus régulière pour mener à bien les divers projets.
L’idée est alors venue de faire appel à des jeunes du pays, dépourvus d’emploi et pris dans l’engrenage de la marginalisation. Par le biais de l’ANPE, quatre d’entre eux ont été recrutés ainsi qu’un adulte de 38 ans, dans la même situation qu’eux.
Et tous ont été embauchés comme CES dans l’opération.

Et des jeunes osent, se lancent…

Leur nécessaire formation au travail du bois et d’autres matériaux a été assurée par Michel Anasse dans une relation de grande proximité où moments de travail et moments de convivialité étaient également partagés. Et elle s’est effectuée sur le tas, dans le cadre même de la réalisation des aires de jeux, a toujours correspondu à une activité commune, créatrice et responsable, au lieu de se limiter à une transmission didactique de maître à élèves. Les cinq recrues s’en sont senties d’autant plus impliquées dans les actions en cours. Et assez vite, elles ont pu assurer elles-mêmes un rôle d’encadrement auprès des enfants et des parents participant aux chantiers.

Ceux-ci achevés et cinq écoles de la vallée étant pourvues d’aires de jeux, servant également pour la plupart à des CLSH, une autre opération a été montée : le panneaute d’un village. A la demande d’un maire, Michel Anasse et ses cinq partenaires ont sculpté et installé sur le territoire de la commune des panneaux de signalisation en bois, en harmonie avec le paysage.

Son rôle accompli, l’équipe, depuis, a été dissoute. Mais l’expérience qu’elle a représentée a laissé des traces : quatre de ses membres sur cinq ont enchaîné sur d’autres activités. Un est parvenu à se faire embaucher dans une entreprise. Les trois autres sont en formation, respectivement en ébénisterie, en aménagement d’espaces verts et pour créer une entreprise centrée sur le travail du bois. Ils avaient pourtant été dépeints, lors de leur recrutement, comme résolument inemployables…

Et le projet existe de créer sur le même modèle de chantier-école une entreprise intermédiaire, regroupant d’autres jeunes de la vallée et qui, autour du travail du bois, pourrait répondre à des commandes d’intérêt collectif.

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